Au Brésil, l’essor des Églises évangéliques bouleverse tant la vie sociale que le paysage politique. Une «déferlante» qui pourrait bien toucher d’autres pays du sous-continent latino-américain, voire au-delà.
Le système politique brésilien apparaît souvent compliqué, tant sur le plan institutionnel que sur le plan de l’organisation de sa vie partisane. Il faut également ajouter à cette complexité de «nouveaux» venus dans la vie sociale et politique: les Églises évangéliques.
Théologie de la prospérité
Dans un ouvrage qui vient de paraitre –Jésus t’aime. Le déferlante évangélique (Éditions du Cerf)–, Lamia Oualalou, journaliste spécialiste de l’Amérique latine ayant longtemps vécu au Brésil, conte et analyse l’essor rapide de ces Églises composant un ensemble aussi bouillonnant que fragmenté. Elle montre ainsi l’influence et la puissance de ces nouveaux venus dans la vie démocratique du Brésil.
Si des Églises évangéliques existaient déjà dans les années 1910, L’Église Universelle du Royaume de Dieu est née en 1977 et s’impose, peu à peu, comme la principale représentante d’une galaxie regroupant un grand nombre d’Églises autonomes. Elle pratique une forme de syncrétisme religieux empruntant à plusieurs traditions brésiliennes, dont des spiritualités populaires afro-brésiliennes –ce qui renforce sa capacité d’infiltration de l’ensemble de la société.
La relation des évangéliques avec l’argent et le pouvoir est totalement décomplexée. Organisée comme une grande entreprise, elle s’épargne –au contraire des catholiques– les difficultés théologiques avec l’argent. Au contraire, elle encourage à en gagner, mais également à s’investir en politique.
Prédomine comme source d’inspiration des évangéliques une théologie de la prospérité, déjà en vogue à la Maison-Blanche et qui a infusé la société brésilienne. Offrant une synthèse entre la foi en Dieu et un solide appétit de consommation, cette doctrine consiste essentiellement à expliquer à chacun que la prospérité du monde passe d’abord par la sienne. Elle a d’autant plus pu se développer au Brésil que l’Église catholique a condamné la théologie de la libération [un courant de pensée né en Amérique latine, visant à rendre dignité et espoir aux pauvres, aux exclus et à les libérer d’intolérables conditions de vie, ndlr] et a ainsi offert un vide à remplir par des Églises concurrentes et dynamiques.
Religion de l’autonomisation de l’individu
Si les évangéliques progressent si vite, si leur implantation se solidifie, c’est parce que ces Églises s’insinuent dans toutes les failles de la société brésilienne: pauvreté, discriminations, racisme, etc. L'évangélisme est essentiellement une religion des périphéries, qui prospère dans les régions délaissées par le dynamisme économique des centres urbains ou aux marges immédiates des grandes villes, comme à Rio.
C’est aussi probablement une religion de l’autonomisation de l’individu: elle s’adapte aux contextes locaux et répond de surcroît aux problèmes de chacun. Elle délivre une vision personnelle en plus d'une vision du monde, ce qui lui vaut l’allégeance de millions de Brésiliens. Elle apparaît à la fois comme une religion adaptée à l’individualisme et comme une offre de solidarité et de collectif dans une société qui en est parfois démunie. Lire la suite.