Passé inaperçu, un rapport des Nations Unies publié en 2017 qualifie Israël de régime d’apartheid. Explications avec Virginia Tilley, coauteure du rapport, de passage à Genève.
Qualifier Israël de régime d’apartheid est-il erroné ou excessif? La Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale des Nations Unies a voulu en avoir le cœur net en confiant une étude sur le sujet à deux universitaires. Publié en 2017, le rapport de Richard Falk, ancien rapporteur spécial de l’ONU sur les territoires occupés, et de Virginia Tilley, professeure étasunienne spécialisée dans les conflits à caractère racial ou ethnique, est pourtant passé presque inaperçu.
Et pour cause: postée sur le site des Nations Unies, l’étude en a vite été retirée: «Notre rapport a été validé par les Nations Unies et nous n’avons reçu aucune critique sur le fond. Mais, mis sous pression par Israël et ses soutiens, le secrétaire général de l’ONU a prétexté que le texte n’avait pas été soumis selon les règles de procédures. Ce qui est faux», assure Virginia Tilley au Courrier. La spécialiste était de passage fin mars à Genève pour y donner une conférence à l’Institut des hautes études internationales et du développement.
«Actes inhumains»
Il faut dire que les conclusions du rapport n’y vont pas par quatre chemins: «Les preuves disponibles établissent au-delà de tout doute raisonnable qu’Israël est coupable de politiques et de pratiques qui constituent le crime d’apartheid tel que défini juridiquement dans le droit international.» Pour les auteurs de l’étude, l’apartheid s’applique selon eux tant aux Palestiniens des territoires occupés et de la bande de Gaza, à ceux qui vivent à Jérusalem-Est et en Israël, qu’aux réfugiés demeurant dans d’autres pays. «Tous ces éléments que nous voyions au départ comme séparés, compartimentés, proviennent d’une même logique première: la discrimination raciale», précise Virginia Tilley.
C’est dans les territoires occupés et à Gaza, où vivent quelque 4,6 millions de Palestiniens, que l’apartheid apparait plus clairement, estime la professeure: «Là, il y a deux systèmes très distincts: un mur qui sépare les populations, des routes réservées aux juifs (colons), des lois civiles pour les juifs, d’autres – militaires – pour les arabes, des tribunaux pour les juifs, d’autres pour les Palestiniens. C’est une séparation totale». A cela s’ajoutent «une gestion discriminatoire de terres et de l’aménagement du territoire par des institutions nationales juives chargées d’administrer les ‘terres d’Etat’ dans l’intérêt de la population juive», et les «actes inhumains quotidiennement et systématiquement pratiqués par Israël en Cisjordanie», constate le document.
Et c’est là que la similarité avec l’Afrique du Sud est la plus forte, estime Virgina Tilley, qui a vécu et mené des études sur l’apartheid dans ce pays: «Les Israéliens ont appris énormément sur le système des bantoustans et ont importé les méthodes d’Afrique du Sud. Quand j’y travaillais, des membres du gouvernement me racontaient que chaque fois qu’Ariel Sharon leur rendait visite, il posait beaucoup de questions sur ces régions autonomes réservées aux Noirs.» La séparation de la Cisjordanie en zones A, B et C s’inspirerait directement du système sud-africain. «De nombreuses dispositions des accords d’Oslo sont calquées sur les Constitutions des bantoustans, point par point.»
Lois discriminatoires
La situation des quelque 1,7 million de Palestiniens qui résident en Israël même est très différente de celle qui prévalait en Afrique du Sud. Mais les «arabes» y sont également soumis à l’apartheid selon les deux experts. «Leur situation peut porter à confusion car ils sont des citoyens d’Israël et peuvent voter, prévient Virgina Tilley. Mais ils sont soumis à des lois discriminatoires, lesquelles assurent que les citoyens juifs ont des privilèges: accès aux terres et à des emplois, à des logements subventionnés, de meilleurs salaires, des protections diverses, etc. Tous types d’avantages basés sur le fait d’être juif. Les Palestiniens et arabes en sont exclus.» Lire la suite.